Violence et séduction

Ce qu’on appelle violence, ce n’est rien.
La séduction est la véritable violence.

Gotthold Ephraim Lessing[1]

Laura Zimmermann, jeune artiste née en 1986, pratique une peinture sans concession. Ses compositions font appel à des éléments banals de l’iconographie populaire de notre époque, qu’elle traite dans un geste nerveux et rapide, feignant une facture maladroite, vite faite, bâclée, à l’instar du street art. Elle dévoie et exalte ainsi des images insignifiantes en leur conférant une dimension universelle, inspiratrice, selon les séries, d’angoisse et de malaise, de tendresse et d’empathie. Jeu incessant de violence et de séduction… Elle peut en effet représenter des enfants jouant avec des armes de guerre (série La violence ordinaire), des bambins souriants, dans des attitudes plus conventionnelles (série The Kidz) ou des vacanciers prenant la pose pour une photographie-souvenir (série N’oublie pas de rentrer).

 

L’artiste peint ses toiles à même le sol, attaquant leur surface avec des gestes qui s’apparentent à une agression du support. On y devine une lointaine filiation avec les drippings de Pollock et l’action painting, mais revisitée à la lumière du pop-art. L’énergie déployée y est offensive, vibrionnante, saturante, électrifiante, mouvante, insaisissable… Les cadrages, comme découpés à la hache, sectionnent des tranches de réalité apparemment arbitraires sur des fonds unis et saturés. Les taches de couleurs vives se côtoient en plages uniformes, simulant les effets que l’on peut obtenir en solarisant ou postérisant une image photographique avec les outils informatiques désormais accessibles à tout le monde. La peau des personnages devient peau de la peinture[2] et vice-versa. La flaque colorée, presque encore fluide, devient corps, figure, fond… Saturation et incomplétude… Résolution et indéfinition… Ambiguïté et ambivalence sont perma­nentes…

 

Le traitement de la perspective, photographiquement rigoureuse mais privilégiant les effets de plongée ou de contre-plongée, génère des distorsions graphiques qui hyper­trophient une partie du corps – souvent les mains – au détriment des autres. Les personnages semblent s’agripper à la bordure du tableau ou percer sa surface pour s’en extraire et venir contaminer le monde prétendument réel. À moins qu’il ne s’agisse d’une tentative de saisir le spectateur pour l’entraîner à l’intérieur de la peinture. Ou bien encore de le transformer en plages colorées abandonnées aux gestes impétueux et au bon vouloir de l’artiste. Invasion ou immersion, expulsion ou aspiration ? Vertige, dans les deux cas…

 

La brutale sauvagerie de l’exécution révèle ou accentue la violence latente, sous-jacente, mêlée de fragilité, des sujets. Les personnages nous interpellent, nous prennent à partie, nous provoquent en nous fixant d’un regard apostrophant, parfois souligné par un geste tout aussi suggestif. Les scènes les plus anodines peuvent tourner au drame et l’on cherche, désespérément le détail rassurant qui permettrait de dissiper l’incertitude, de faire taire l’angoisse, qu’elle se résolve en cata­strophe ou en bonheur. En vain… Ne serait-on pas proche, ici, de l’inquiétante étrangeté[3] freudienne ? Ou, du moins, de sa formulation initiale par Jentsch[4] : le doute suscité par un objet apparemment animé dont on se demande s’il s’agit réellement d’un être vivant ou par un objet inanimé dont on se demande s’il ne pourrait pas s’animer.

 

Même lorsqu’elle aborde, dans la série The Kidz, la thématique de jeunes enfants dans des attitudes qui n’ont rien d’agressif, Laura Zimmermann maintient une forme de sourde angoisse. La suppression de tout contexte pouvant diriger l’imagination vers une histoire univoque, la distanciation voulue des cadrages et des mises en page, l’arbitraire des couleurs criardes coulant en plages fluides mais aux limites précises, l’insistance des regards… tout contribue à susciter une forme d’appréhension persistante dès que l’on s’attache à pénétrer au-delà de la première vision superficielle de la toile. Revient alors à l’esprit la mise en garde de Reverdy : « Quand tu rencontres la douceur, sois prudent, n’en abuse pas, prends garde de ne pas démasquer la violence. »[5] Le malheur est proche, mais on ne sait ni d’où ni comment il va survenir. Le spectateur est laissé libre de projeter ses propres frayeurs, ses fantasmes et tout ce qui prend racine dans sa propre enfance. 

 

A contrario et contre toute attente, la série La violence ordinaire, dans laquelle des enfants jouent avec des armes à feu nous semble moins angoissante. La violence y est présentée sans fard, mais dans des postures et des mises en scène qui incitent le regardeur à envisager l’hypothèse d’un jeu[6]. Que penser, en effet, de cette toile figurant un enfant de sept ou huit ans avec le canon d’un pistolet dans la bouche, comme s’il était prêt à se suicider ? Les armes sont-elles réelles ou factices ? Sommes-nous dans le monde des enfants-soldats ou dans la sphère d’un jeu malsain ? Ne serions-nous pas en face d’une illustration du propos de Nietzsche : « Chaque homme cache en lui un enfant qui veut jouer. »[7] ? Laura Zimmermann n’y va pas de main morte et, cependant, sa proposition, aussi directe et cinglante soit-elle, nous rappelle le propos de l’auteur du Gai Savoir. Quand l’enfant joue, il est tout à ce qu’il fait, sérieux, concentré, présent au présent. Nul ne peut l’en distraire. L’artiste, comme Nietzsche, nous inciterait à cesser de nous repaître de nostalgies, d’utopies, de souvenirs, d’idéaux pour nous immerger dans le hic et nunc, pour vivre dans notre temps en toute conscience, au mode présent.

 

Ainsi, de façon paradoxale, la violence apparente du propos de certaines œuvres de Laura Zimmermann serait source d’apaisement tandis que les propos extérieurement calmes d’autres peintures seraient générateurs d’angoisses existentielles. Francis Bacon – le philosophe, pas le peintre – écrivait : « Celui qui rend violence pour violence ne viole que la loi, et non l’homme. »[8] Notre artiste se place dans l’ombre de ce propos. Elle nappe la violence de douceur et suggère la violence sous des aspects anodins. Tel est le cas de sa série N’oublie pas de rentrer dans laquelle des personnages, visiblement désœuvrés dans un environnement sans intérêt particulier, prennent la pose pour une photographie. L’absence de sujet, le vide narratif incitent le spectateur à rechercher la faille, le détail expressif qui fournira une clé de lecture. Il en trouvera probablement une multitude, certaines débouchant sur des impasses, d’autres permettant d’échafauder les hypothèses les plus folles. Il imaginera des lendemains de fête se muant en cauchemars, des catastrophes latentes, des crimes ignominieux tout juste perpétrés, des secrets inavouables, des joies superficielles dissimulant mal une profonde détresse… Sans en avoir l’air, avec des moyens d’une extrême simplicité, Laura Zimmermann se livre ainsi à un travail de sape de nos certitudes trop bien établies, d’une rationalité tranquillisante, du statut même des images souvent insignifiantes dans nos sociétés qui en regorgent… Écho simultané des propos de Bachelard (« Nous sommes dans un siècle de l’image. Pour le bien comme pour le mal, nous subissons plus que jamais l’action de l’image. »[9]) et de Goethe (« Qu’est-ce que la poésie ? Une pensée dans une image. »[10]) ?

 

Louis Doucet, janvier 2014

 

[1] In Emilia Galotti.
[2] Une peau de peinture acrylique sortant du pot, dont elle conserve encore la fluidité.
[3] Inquiétante familiarité traduirait mieux le Unheimliche allemand.
[4] In Zur Psychologie des Unheimlichen.
[5] In En vrac.
[6] On pense au propos de Bourdieu : « L’image du jeu est sans doute la moins mauvaise pour évoquer les choses sociales. » in Terrain, mars 1985.
[7] In Le Gai Savoir.
[8] In De dignitate et augmentis scientiarum.
[9] In La Terre et les rêveries de la volonté.
[10] In Maximes et réflexions.


Laura Zimmermann pratique une peinture sans concession

Ses tableaux exploitent les éléments de l’iconographie populaire de notre temps, qu’elle traite rapidement en feignant une facture maladroite, vite faite, à l’instar du street art. Elle dévoie ces images banales et insignifiantes en leur conférant une dimension universelle, génératrice, selon les séries, d’angoisse et de malaise ou de tendresse et d’empathie. Elle peut en effet représenter des enfants jouant avec des armes de guerre (série La violence ordinaire) ou des bambins souriants, dans des attitudes plus conventionnelles (série The Kidz). Laura Zimmermann peint ses toiles à même le sol, attaquant leur surface avec des gestes qui s’apparentent à une attaque du support. Cette brutalité dans l’exécution révèle la violence souterraine, mêlée de fragilité, de ses sujets.

 

Louis Doucet pour Mac2000, décembre 2013


Des Visages à fleur de peau

Le regard que Laura Zimmermann pose sur le monde est infiniment tendre. Cette artiste révèle dans chacune de ses œuvres sa douceur. On ne s'en lasse pas en ces temps incertains.

Laura Zimmermann a au fond d'elle et au bout de sa sensibilité artistique la faculté de transformer la violence qui nous entoure en douceur évidente. Ses portraits ne demandent surement qu'à lui ressembler.

 

Laura Zimmermann est née en 1986 à Paris. Si, comme beaucoup d'enfants, elle prend très jeune énormément de plaisir à dessiner, la passion pour le monde artistique ne va pas la quitter au moment de l'adolescence, bien au contraire: "Au collège, j'attendais impatiemment les heures de cours d'arts plastiques. C'était ma récréation." En 2001, sa famille s'installe à Cernay-la-Ville. Laura entre en Première littéraire, option arts plastiques. Cette orientation la conforte, non seulement dans sa volonté de se tourner vers l'art mais aussi dans son amour des textes et des mots. 

 

À l'Atelier de Sèvres à Paris, atelier préparatoire aux écoles supérieures d'art: "C'est à cette période que j'ai commencé à travailler sur la thématique de la peau et du corps humain en utilisant de la colle à bois et du latex" se souvient Laura Zimmermann.

 

À 20 ans, Laura a besoin d'air. Elle s'envole alors pour San Francisco. Pendant six mois aux États-Unis, Laura Zimmermann se lâche dans ce qui la touche le plus: l'humain. A force de regarder autour d'elle, de voir tous ces visages, elle décide d'en faire des œuvres. Son travail consistant à créer du mouvement sans y mettre une notion d'action, Laura Zimmermann se cale sur un premier thème: la non-violence. "L'arme à feu est l'objet qui, selon moi, représente le plus la violence. Des enfants au visage tendre manipulant un fusil ou un pistolet est pour moi un sujet dramatique. J'ai voulu en faire des tableaux!" Afin de se resserrer exclusivement sur son thème, Laura Zimmermann oublie les décors. Il n'y a que ces enfants, sans autres indices pour parvenir à situer l'histoire: "j'aime que ceux qui regardent mon travail fassent eux-mêmes la légende. Parfois même, ils y voient des évidences qui m'avaient échappées." A Thonon-les-Bains (Haute Savoie), Laura Zimmermann démarre une nouvelle série, les auteurs et leurs mots qui se nommera "La bonne parole". Une façon sensible et originale de retranscrire l'intimité artistique de ces visages hauts en couleur qui transmettent tant de choses.

 

David Ramolet pour l'Echo Republicain, septembre 2013


Flux électrique

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Laura Zimmermann est une jeune peintre née à Paris en 1986. Elle travaille actuellement en Suisse mais réalise de nombreux voyages qui ne cessent de faire évoluer sa peinture. Après un voyage à San Francisco, elle a bénéficié en 2011 d’un atelier au Sénégal. Ce voyage a donné naissance à une série de portraits des habitants de la ville de Saint-Louis.

Le travail de Laura Zimmermann est traversé par un flux d’énergie, quasi électrique, presque violent. Cette énergie en vibration se retrouve dans les couleurs, la technique, les cadrages et les attitudes des personnages. Les couleurs sont vives, saturées, parfois fluorescentes. Les contrastes sont forts et font émerger brutalement les visages, le plus souvent d’une étendue unie.


Laura Zimmermann reprend les méthodes de l’Action Painting: elle pose sa toile au sol et laisse des gouttes de peinture tomber sur celle-ci. Grâce à cette technique, ses peintures portent la trace de son geste à tel point qu’elles donnent l’impression d’être encore mouvantes. Les tâches de peintures semblent ne jamais finir de se rencontrer et les visages donnent l’impression d’être en perpétuelle transformation: un visage sévère est sur le point de se transformer en sourire et le sourire de se muer en grimace.


Ce dynamisme parfois brutal, Laura Zimmermann le puise dans ses modèles eux-mêmes. Elle les capte au cœur d’un mouvement qui paraît sur le point de se prolonger. Le mode sur lequel ces personnages se présentent à nous est celui de l’apostrophe. Leurs attitudes sont à la fois de l’ordre de la provocation et de celui du jeu. On retrouve cette ambivalence entre violence et jeu dans la série qu’elle a réalisé début 2012. Dans cette série on voit des enfants manipulant des armes qui peuvent être aussi bien factices que réelles. Leurs attitudes sont ambiguës et laissent planer le doute quant à l’interprétation de la scène.


Dans presque toutes ses peintures, les personnages semblent regarder le spectateur droit dans les yeux, et parfois vouloir se projeter vers lui. Les mains, déformées par la perspective, se tendent vers le public jusqu’à sortir du cadre. Les effets de profondeur donnent l’impression que les personnages tentent de surgir hors du tableau en même temps qu’ils nous attirent vers eux. En effet, la façon dont Laura Zimmermann exploite la perspective du corps donne un aspect vertigineux à ces portraits. Ainsi, le mouvement auquel est invité le spectateur suit la dynamique des gouttes de peinture qui ont formé l’image lors de sa production.


Marie Larrive pour BoumBang, septembre 2012


Coup de pinceau sur la jeunesse

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Laura Zimmermann est peintre. 

Née en 1986, elle est diplômée de l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris.

 

Ses peintures reprennent les éléments de l'iconographie populaire de notre temps : celle des photos prises en soirées, entre amis, celle des portraits vite cadrés, vite captés et immédiatement postés sur Facebook. 

 

L’artiste travaille certaines de ses œuvres à la bombe de peinture, empruntant au street art ses grands aplats de couleur lisse et à ses pochoirs pop; l’acrylique apporte la densité de sa matière et la modulation gestuelle du pinceau.

 

Et le geste s’apparente ici à une attaque de la toile. Les traits sont vifs, incisifs et laissent une place à leur propre indéfinition. C’est un vrai coup (de pinceau) qui est porté au support.

Cette peinture est le résultat d’un acte.

La position du corps du peintre par rapport à ce support est également suggestive : peignant la toile au sol, à la manière d’un Pollock, l’artiste joue de la distorsion propre à cette horizontalité. Le changement d’axe physique de la toile semble avoir des conséquences sur le plan moral et axiologique. La réalité référentielle de ces individus se brouille, à l’image de leurs traits. Ils ne sont plus de jeunes adultes du début du siècle, dont les noms nous sont livrés, mais deviennent des figures de rêve ou les masques d’un carnaval effrayant. Leur fête s’inverse en son contraire.

 

L’art de Laura Zimmermann creuse une brèche dans la rationalité rassurante et banale de la vie quotidienne, qui est son sujet de départ.

Le « coulant » des couleurs donne une vivacité de vertige à ces visages. Les corps sont traversés par une sensualité brutale, mêlée de violence. La palette chromatique riche, volontairement tapageuse par moments, restitue un hurlement sourd mal identifié. Nous hésitons à y entendre les bruits de la fête ou les cris de la peine. Le traitement des chairs les montre disloquées dans leur unicité, fondues les unes dans les autres parfois, au point de leur faire perdre leur identité. L’artiste nous rappelle que l’optique joue de l’équilibre entre le flou et le net, qu’entre la figuration et l’abstraction, il n’y a qu’une différence de degré; qu’on peut même s’y exercer.

Ainsi, lorsqu’on observe longuement le tableau de cette fille grimaçante en gros plan, on a l’impression troublante que l’image fluctue entre le portrait et la pure abstraction chromatique. Cette hésitation, cette absence de réponse fixe est forte de sens. Une telle manière évoque celles d’illustres maîtres — desquels Laura Zimmermann se réclame — Yan Pei-Ming ou Lucian Freud. Une même adoration mêlée de dégoût sublime ces corps sous l’œil du spectateur. 

 

Que cherchent à représenter ces jeunes gens qui se prennent en photo? La joie des soirées? L’amusante convention d’un baiser de cinéma? Des intentions plus ambivalentes régissent cet acte de représentation. Laura Zimmermann fait poindre la violence souterraine et la fragilité de cette jeunesse exultante. Sa tendresse aussi. Elle parvient par moments à rendre sa charge subversive et émouvante à une image vue maintes fois sur mille profils de réseaux sociaux. Elle peint les jeunes gens de son temps, jusqu’au fond de la jeunesse.

 

Aitor Alfonso pour BoumBang, 2011


Chorokbaem Art Center International Exchange Project

Laura Zimmermann , born on April 24th 1986 in Paris. I am currently studying at the Ecole Nationale Supérieure des Arts décoratifs.  After having made training courses at Nil's (fashion entreprise) and at Aubade (underware making). I'm now working on the creation of costumes for a play : Le Roman de Renart 'which will be shown during a festival), and I'm also preparing decorations for two musical shows, I lead art workshop as well. My personnal work focus on the theme of the second skin. My portraits are painted with acrylic. The drying paint forms a thin film, a mask, a second skin added to the faces.

 

Chorokbaem Art Center

Korea France Young Artists Festival