Pré-ouverture de l’Espace Artistes Femmes

Article publié en premier sur SpeedArting.com

Nous sommes lundi 8 mars 2021. Quelque part au bord du lac Léman, une tribu de femmes s’agite. Leur point commun: elles sont femmes, artistes et membres de Espace Artistes Femmes, une belle association fondée par Marie Bagi. Elles sont là pour célébrer la pré-ouverture de l’Espace. La date n’a pas été choisie au hasard puisque c’est celle de la Journée Internationale des Droits des Femmes. Car il s’agit bien pour Marie Bagi de défendre un droit fondamental des artistes femmes: celui de voir leur travail exposé et d’acquérir ainsi une visibilité dans le monde de l’art.

Où sont les femmes dans les musées?

Le problème n’est pas nouveau: en 1989 déjà, le collectif des Guerilla Girls dénonçait le fait que seulement 5% des artistes exposé·es dans le département d’Art Moderne du Met de New York étaient des femmes. (1)

En France, les artistes femmes représentent 5,9% des artistes répertorié·es par le catalogue collectif des collections des musées de France, Joconde. (2)

En 2019 en Suisse, une étude menée par swissinfo.ch (SWI) et la Radio-télévision Suisse (RTS) révèle que seul un quart des expositions individuelles organisées par des musées sont consacrées à des artistes femmes. (3)

@Laura Zimmermann

C’est le regardeur qui fait l'œuvre.  

Le public n’a que peu accès aux œuvres produites par des femmes et c’est bien dommage car c’est lui qui les fait exister. 

Tout d’abord car c’est le spectateur qui, de part sa culture, ses connaissances, ses expériences passées et présentes va donner une interprétation de l'œuvre qui lui est propre et qui viendra étayer — et parfois révéler — les intentions de l'artiste. 

Marcel Duchamp le disait ainsi: «L'artiste aime bien croire qu'il est complètement conscient de ce qu'il fait, pourquoi il le fait, comment il le fait et la valeur intrinsèque de son œuvre. A cela, je ne crois pas du tout. Je crois sincèrement que le tableau est autant fait par le regardeur que par l'artiste.» (4)

Ensuite car c’est le public qui, par son regard, son intérêt, sa connaissance de l’artiste, va faire augmenter la côte de ce dernier, lui permettre d’être reconnu et donc de vivre de son travail. Dans un entretien avec Sophie Payenn, Camille Morineau, fondatrice d’AWARE l’explique ainsi: «Une artiste femme qui a peu montré son travail de son vivant, va complètement disparaître du circuit de reconnaissance globale de son métier : elle ne sera pas commentée par les critiques et les historiens, ni montrée par les galeries, ni achetée par les musées. C’est représentatif, d’une manière un peu dramatique et théâtrale, de l’invisibilisation qui est un processus s’appliquant à beaucoup d’autres activités et métiers pour les femmes. […] Plus on sait de choses sur ces artistes femmes, plus on les montre avec des publications et des textes, plus leur cote augmente. Je crois profondément à la création d’information et la création de valeur, y compris la valeur marchande.» (5)

@Laura Zimmermann

L’Espace Artistes Femmes: un concept novateur.

Devant l’ampleur du problème, plusieurs acteurs du monde de l’Art tentent aujourd’hui de rétablir une vérité historique et travaillent à promouvoir les œuvres des artistes femmes. 

C’est le cas donc de Camille Morineau: actuelle Présidente du Conseil d'administration de l'Ecole du Louvre à Paris, elle est la fondatrice de l’association AWARE dont l’objectif est de rendre visibles les artistes femmes du XXe siècle en produisant et en mettant en ligne sur son site Internet des contenus gratuits sur leurs œuvres. 

En Suisse, le projet de Marie Bagi s'inscrit dans une démarche similaire. Docteure en histoire de l'art contemporain et philosophie, Marie a consacré sa thèse (6) aux artistes femmes et à leur travail. Elle y interroge la question de l’intime qui est, pour elle, la clé de la création des femmes permettant de comprendre l’art contemporain. Dès 2018, elle imagine l’Espace Artistes Femmes dont l’objectif premier est de contribuer à la reconnaissance artistique des femmes. Dans ce lieu novateur, les artistes femmes pourront exposer leur travail et aller à la rencontre du public à travers des ateliers, des cours, des visites guidées ou encore des conférences. Ainsi, elles auront les moyens non seulement de montrer leurs créations, mais aussi de véhiculer leurs intentions, transmettre du contenu sur leur travail et recueillir les interprétations du public, pour qu’enfin leurs œuvres existent. 

La pré-ouverture virtuelle de l’Espace Artistes Femmes a eu lieu lundi 8 mars 2021. Une vidéo de lancement , déjà visible sur la plateforme YouTube et une conférence ont lancé les festivités. 

Le lieu ouvrira physiquement au cours de l’année 2021. 


Sources: 

  1. https://www.guerrillagirls.com/

  2. https://www.culture.gouv.fr/Sites-thematiques/Musees/Les-musees-en-France/Les-collections-des-musees-de-France/Decouvrir-les-collections/Les-femmes-artistes-sortent-de-leur-reserve/Presentation

  3. https://www.swissinfo.ch/fre/culture/les-donn%C3%A9es-le-montrent_les-mus%C3%A9es-suisses-exposent-peu-d-artistes-femmes/45006902

  4. Georges Charbonnier, Entretiens avec Marcel Duchamp [réalisés en 1960], Marseille, éditions André Dimanche, 1994, p. 11-12, 81-82, 88-89.

  5. Sophie Payen, Quelle place les femmes occupent-elles dans l’art ? - Entretien avec Camille Morineau https://artconseils.wordpress.com/2017/07/21/quelle-place-les-femmes-occupent-elles-dans-lart/

  6. "Art au féminin", 2 volumes, éditions Le Manuscrit, Paris, 2019


Illustrations de Laura Zimmermann, d’après des photographies de Jean-Baptiste Mondino (Sophie Calle), Joshua Bright (Pipilotti Rist), Peter Whitehead (Niki de Saint Phalle), Nicholas Muray (Frida Khalo), Jeremy Sutton-Hibbert (Yayoi Kusama) et Amanda Fordyce (Jenny Saville).